La chance, dès lors qu’elle se manifeste, est toujours inégale. Voyez le Loto, la santé, la beauté... Si tout le monde gagnait le gros lot, le Loto ne serait plus un jeu de hasard : ce ne serait plus chance mais justice. Pourquoi, alors, parler d’égalité des chances ? Parce que tous les joueurs ont autant de chances, à mise égale, de gagner : ils sont égaux devant le résultat à venir. Le calcul des probabilités l’annonce. La règle du jeu le garantit. Des huissiers y veillent. Cela nous met sur la voie. L’égalité des chances ne peut pas dépendre de la chance. C’est-à-dire qu’elle dépend de nous, qu’elle doit être voulue, organisée, vérifiée – instituée. Elle relève non de la chance mais de la justice. Non de la nature, mais de la société. Non du hasard, mais de la politique et des lois. Ce n’est en cela qu’une égalité comme les autres : une égalité en droits, pour compenser les inégalités de fait, qui sont innombrables. Cela ne la condamne pas. C’est au contraire ce qui la rend indispensable. Ne comptons pas sur le hasard pour être juste à notre place.
Comment être égaux, face à ce qui est par définition inégal ? En donnant à chacun le droit, au même titre que tout autre, de tenter sa chance, de profiter pleinement de celles qu’il a, de compenser, autant que faire se peut, celles qui lui font défaut. Par exemple, il n’y a pas de droit au génie : le génie, étant l’exception, ne saurait être également réparti. Affaire de chance. Mais aucun, génie ou pas, doit avoir un droit égal à exploiter les talents inégaux qui sont les siens. Affaire de justice. On ne saurait accepter qu’un enfant, parce que ses parents sont pauvres ou trop peu cultivés, soit empêché de développer au mieux ses capacités, d’aller au bout de ses dons, de son courage, de son travail, enfin de réussir non pas forcément aussi bien que les autres, ce n’est pas la question, mais aussi bien que lui- même, avec les mêmes capacités mais issu d’un milieu différent, aurait pu réussir. Bref, il s’agit de compenser, spécialement à l’école, les inégalités que la nature, la société et même la culture ne cessent d’engendrer ou d’entretenir. L’égalité des chances, c’est le droit de ne pas dépendre exclusivement de la chance, ni de la malchance. C’est le droit égal, pour chacun, de faire ses preuves, d’exploiter ses talents, de surmonter, au moins partiellement, ses faiblesses. C’est le droit de réussir, autant qu’on peut et qu’on le mérite. C’est le droit de ne pas rester prisonnier de son origine, autant que l’on peut et qu’on le mérite. C’est l’égalité, mais actuelle, face à l’avenir. C’est le droit d’être libre, en se donnant les moyens de le devenir. C’est comme une justice anticipée, et anticipatrice : c’est protéger l’avenir, autant que faire se peut, contre les injustices du passé, et même du présent. On n’y parvient jamais tout à fait. Raison de plus pour s’efforcer toujours de s’en approcher. Extrait de Guide républicain. L’idée républicaine aujourd’hui.